Edito Grand Poetry Slam 2023

Le Slam c'était mieux avant
Belleville 2043. En ce temps-là, sur Belleville entourée d’eau, survivent quelques rescapés, naufragés du grand chambardement climato-nucléaire.
La grande apocalypse atomique déclenchée par on ne sait plus qui, au nom de
« la sauvegarde de la patrie » et « du droit à disposer de nos peuples comme bon nous semble » a provoqué la fonte accélérée des glaces et noyé les continents.
De ci, de là, quelques monticules de terres émergées ont providentiellement subsisté. Belleville est du nombre, comme Montmartre au loin.
Du haut de la butte de Belleville, tel un phare dans la nuit, un vieux bonhomme, vêtu d’une combinaison anti-radiation multicolore, rêve en admirant ce qui a été, jadis, la tour Eiffel, là-bas. Il la trouve très belle encore, bien que sa partie supérieure, cassée, comme une tête de canard, semble chercher quelque chose au fond des eaux.
Il pense à ces années- là, toutes ces années… où patiemment, obstinément, il a rassemblé des poète.sse.s de toutes les cités, de tous les continents, de toutes les langues, pour faire vibrer un public populaire dans une grande joute joyeuse, universelle et utopique !
Ah c’était le bon temps ! se dit le grand-père, pourtant peu enclin à la nostalgie.
Mais c’est mardi. Et comme tous les mardis à 21h30 précises, prenant son courage avec sa canne, le vieux Pilote le Hot, se dirige vers une masure en ruines qui fut jadis un bar dédié à la poésie et au slam.
Au milieu de la scène, joliment décorée par un ciel étoilé et quelques cierges trouvés dans les décombres de l’église voisine, le vieux Pilote raconte à un public d’enfants qu’il a recueillis (et à qui il a appris à compter jusqu’à 10, avec deux chiffres après la virgule), la fantastique histoire du slam…
« Vous êtes bien installés les enfants ? Maintenant imaginez un petit train loué par Jean Blaise zigzagant entre les vallées vertes et les petits cours d’eau pour emmener les poète.sse.s slamer au Lieu Unique de Nantes ; ou encore quand le Ministre de la Culture… comment il s’appelait déjà… Fred… Frédéric… Mitterrand…était venu écouter des poèmes néo punk pour une scène au grand Palais qu’il nous avait demandé d’organiser pour pas cher…
– C’est quoi un Ministre de la Culture ? demande une petite fille
– Tais-toi, répond un petit garçon, laisse-le raconter l’histoire du slam…
– De toute façon ça n’existe plus, bougonne le vieux bonhomme avant de poursuivre des étoiles dans les yeux.
Ah ! je me souviens les scènes au Panthéon, à la maison de la Santé, au Gobe-Lune ou rue de Valois ; ma putain d’libellule qui s’était envolée sous la verrière du Grand Palais…Edouard Baer et Frédéric Beigbeder qui montaient sur les tables de la Coupole pour dire un poème ; les ateliers de slam de poésie dans les écoles de Bobigny ; les poète.sse.s français.es invité.e.s au National poetry slam à Chicago, quand Ktrin-d et Angel Pastor ont fait un tabac à Albuquerque ensemble dans une salle grande comme le Zénith ; et puis le premier slam de poésie que j’ai initié au japon dans un bar à sushis, à Madagascar dans la brousse, en Finlande sur la banquise, en Russie sur une avenue… au Canada au bord de la rivière des Outaouais… On avait même gagné ! mais j’avais triché façon conspirationiste ricane le vieux poète dans sa barbe blanche.
– Et après ? implorent les jumeaux.
– Après ? s’exclame le vieillard. Oh ! Le déclin du National Poetry Slam des États-Unis tué par l’argent et l’essor de notre belle coupe du monde, ici, à Belleville…Les éditos de Stéphane Le Goff… Et puis, la multiplication inflationniste d’autres tournois nationaux, régionaux…internationaux qui nous ont imité de partout.On a même vu le coca- cola slam !!
– Alors ça a vraiment existé l’Amérique ?! s’exclament les enfants d’une seule voix.
– Hé oui ! s’écrie le vieux Pilote le Hot devant les yeux écarquillés des gamins. Mais place au spectacle ! Notre premier poète n’est autre que Chat’Gépéto, robot humanoïde, que les océans ont ramené sur nos berges avec d’autres boites de conserves.Vas-yBogosse ! Défonce- les ! ».
Et malheureusement l’humanoïde s’exécute.
« Pilote n’a pas de culotte ! Pilote n’a pas de culotte ! Pilote n’a pas de culotte !… », Indéfiniment, plus de 3 minutes, bloqué, complètement bloqué…
« Tu as dépassé le temps règlementaire », et d’un coup de canne il assomme la machine. Il est très à cheval sur les règles, le vieux Pilote.
Un peu las, après la soirée, devant le tas de ferraille, la nostalgie le reprend : Le slam c’était quand même mieux avant ! Quand c’était le temps des grandes conversations avec le public ; quand la peau des slameu.r.se.s était pailletée de sueur sous les projecteurs ; quand les poèmes racontaient les rivières, les sillons de la terre ; quand la poésie et l’expression libre coulaient à l’infini…

Et c’est pourquoi, du 15 au 21 mai 2023, pour conjurer les dystopies que nous concoctent les puissant.e.s de ce monde, nous convoquons l’humanité, ses poète.sse.s, le public, pour venir déclamer, applaudir, s’émerveiller, jouer, sur la butte de Belleville, et fêter comme il se doit, le 20e anniversaire National et le 18e Mondial à Belleville, qui est la plus belle île du monde !

 

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